« Ils ont dit “radicale”, j’ai répondu “racine”, ont pas compris. Ils ont dit “pas compris”, ont préféré pas comprendre. Tant pis, je serai radicale à la racine. »
Juliette, acte 2, c’est une fiction librement inspirée de Roméo et Juliette, où la parole revient exclusivement à Juliette, dont l’histoire et sa violence font écho à nos récits contemporains. Cette création théâtrale pluridisciplinaire rassemble sur le plateau un chœur de huit comédiennes qui incarnent chacune et ensemble une singularité de ce personnage emblématique. Construite comme un plan séquence, Juliette, acte 2 invite le public à plonger dans une immersion où images, couleurs et textures se succèdent pour délivrer le récit d’une jeune femme en quête de liberté.
NOTE D’INTENTION
« [...]parce qu'on se raconte tous des histoires, tout le temps. Et on en écoute, lit, reçoit en permanence aussi. En réalité, nous sommes pétris de mises en récit que nous ne détectons même plus. »
Alice ZENITER, Je suis une fille sans histoire.*
J’adore les histoires. Depuis toujours, je suis férue de mythologie et de toutes ces grandes épopées qui ouvrent grand la porte de mon imaginaire pour m’offrir des espaces de liberté infinis. Je crois, comme le dit ZENITER, que tout le monde se raconte des histoires, quotidiennement. Sûrement parce qu'elles nous aident à mieux composer avec la réalité. Personnellement, je suis même convaincue que les histoires que nous nous racontons influencent d’une manière ou d’une autre notre réalité.
Début 2022, alors que je me prête à l’exercice de l’écriture, je lis l’essai d’Alice ZENITER Je suis une fille sans histoire qui aborde la question de la construction du récit en occident et les impacts de cette construction sur notre réalité. Et lorsque l’autrice nomme, selon elle, les deux problèmes majeurs de la plupart de nos récits fondateurs, à savoir : le « problème considérable d'inégalité des sexes dans les récits » et le « problème de non-adéquation du récit et du « réel », je retiens mon souffle. En lisant ces lignes, je me dis que certains comportements problématiques d’aujourd’hui ne sont en fait que des résidus de vieux mythes qui, aidés par le temps, ont fini par s’instituer dans nos sociétés modernes. J’acquière alors la conviction qu’il est urgent de repenser notre manière de concevoir le récit, afin d’éclater les barrières de nos imaginaires en espérant transformer notre réalité vers plus de liberté.
Je suis une femme créatrice et féministe et il est évident pour moi que les récits qui m’entourent manquent de femmes écrites par des femmes.
Depuis mon enfance, la plupart des histoires de femmes que j’ai rencontré ont été écrites par des auteurs, et souvent dans des rôles réducteurs. Ces visions limitantes avec lesquelles les femmes ont été racontées ont saboté notre inconscient collectif. Il est temps maintenant de se défaire de la légende qui voudrait que l'unique aspiration d'une femme soit de dédier son entière existence au bien-être d'un Autre. Pour redéfinir la réalité, peut-être faudrait-il commencer par cesser de raconter les femmes par le prisme du patriarcat. Les questions actuelles d'inclusivité ouvrent de nouveaux possibles à explorer, et quelle heureuse perspective pour le domaine de la culture. Ce secteur où coexistent l'angoissante visée de l'inédit et l'affirmation implacable que tout a déjà été fait.
Bien qu'il soit illusoire de penser que les histoires facilitent tout, je crois pourtant qu’elles permettent de visibiliser d’autres vies possibles. Et c’est dans cette dynamique que j'initie Juliette, acte 2, comme un projet qui se concentre sur l’humanité pour se détacher des représentations discriminantes. En m’emparant de ce classique incontestable, je présume son schéma narratif connu de toustes. C’est à lui que je m’attaque. Dans cette réécriture, je désacralise la vision romantique que Shakespeare a fait d'une jeune fille de quatorze ans. Ici, pas d'amour condamné, mais le récit d'un périple émancipateur. Juliette n'est plus une amoureuse traquée par la fatalité, c'est une jeune femme dans un monde d’hommes qui essaie de s'en sortir avec les possibilités dont elle dispose. Je cherche à travailler Juliette en consistance, à redonner du concret à cette existence de femme, à son vécu et à ses sensations. J’essaie aussi de lui offrir une échappatoire pour qu’une autre réalité se concrétise.
Juliette, acte 2 c’est un pont entre deux époques, une manière de toujours entendre l’écho de la tempête dans le silence qui lui succède, vibrant d’un vivant qui veut se raconter.
Présentation du projet
Un choeur nombreux
L’identité de Juliette, acte 2, c’est son chœur de femmes présent sur la scène. Le parcours scénique que les actrices tissent résulte d’une phase d’expérimentation performative que nous avons mené ensemble. A partir de leurs présences, elles m’ont proposé des actions simples et sans parole que j’ai choisi d’agencer comme un paysage qui se transforme. La performance a constitué notre base pour parvenir à une écriture de plateau. J’affectionne particulièrement cette méthode de création car je trouve qu’elle met du lien entre les choses tout en faisant ressortir les individualités de chaque personne dans un groupe. Ainsi, dans un ballet rythmé par la voix enregistrée de Juliette, les comédiennes s'approprient le plateau. Leurs corps se croisent, se rencontrent, se heurtent, s’allient, modifient l’espace et font apparaître des endroits familiers (le plan de travail d’une cuisine, le paravent d’une chambre derrière lequel on se change,...). En montrant les aspérités et textures de ces corps qui se croisent, nous proposons une expérience aussi sensible qu’intime aux spectateurices. Les images qui naissent de la superposition de ces particularités signent l’engagement politique de Juliette, acte 2, une création qui lutte contre les images normées largement médiatisées aujourd’hui.
Dispositif scénique
J’aime que les espaces interagissent entre eux, qu’ils s’influencent. Lorsque je pense à Juliette, acte 2, j’imagine une installation scénique qui réduirait la distance entre les comédiennes et le spectateurices. Avec un dispositif en “L” que j’exploite pour ce projet, la “scène” et la “salle” ne s’affrontent pas, mais les gradins déterminent l’espace de l’action, en deviennent les garants. Je cherche un agencement spatial qui traduise au mieux mon désir pour ce projet, celui de se reconnaître en l’Autre : comment faire pour entrer en empathie avec l’histoire d’une autre personne? J’imagine un dispositif où les gens pourraient toustes se voir entre elleux.